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Le conflit Birman et la protection des civils coincés entre les enjeux indochinois

Le conflit Birman et la protection des civils coincés entre les enjeux indochinois

La Chine avance politiquement en Birmanie et l'Inde s'interroge sur sa position à prendre face à l'armée birmane.

La politique indienne au Myanmar doit trouver un équilibre entre la protection des intérêts stratégiques et les valeurs démocratiques
Dans un contexte d’expansion de l’influence chinoise au Myanmar, New Delhi ne veut pas donner plus d’espace à Pékin et pense que la meilleure option est de rester silencieux sur les actions de l’armée du Myanmar,

La realpolitik est une approche de la politique étrangère dans laquelle la préservation de l’État et la promotion de ses intérêts nationaux constituent un objectif ultime et primordial. Elle se concentre sur le stratagème politique et tactique conçu pour pénétrer l’approche idéaliste du terrain social et moral et se base sur les besoins réels de l’État à un moment donné.
 
La réponse de l’Inde au retour du régime militaire au Myanmar et à l’arrestation de la conseillère d’État destituée Aung San Suu Kyi et d’autres dirigeants politiques de l’ancienne Ligue nationale pour la démocratie (LND) est un exemple classique d’approche realpolitik. Cette option contraste fortement avec la politique idéaliste de New Delhi, qui s’efforce d’établir des liens sains avec le gouvernement démocratiquement dirigé du Myanmar et de porter les relations bilatérales à un nouveau niveau.

Bien qu’elle soit un porte-flambeau de la démocratie, l’Inde semble être le seul voisin à garder le silence sur le coup d’État. Cette réticence pourrait être due à la position géostratégique du Myanmar et à son importance dans les objectifs de politique étrangère de l’Inde.

En outre, l’engagement de la Chine dans la région, motivé par l’importance de son aide économique et de son influence politique au sein de la communauté internationale, peut également avoir contribué au silence stratégique de l’Inde sur le coup d’État.

Préoccupations sécuritaires

Dans un cadre plus large, l’option realpolitik de l’Inde découle de trois préoccupations pressantes qui ont joué un rôle important dans les relations entre l’Inde et le Myanmar. L’une d’entre elles est la coopération en matière de sécurité que l’Inde partage avec le Myanmar pour favoriser la paix et la stabilité à ses frontières. New Delhi est d’avis que critiquer les actions de l’armée du Myanmar mettrait en péril le bénéfice plus important de la coopération en matière de sécurité que l’Inde a partagée avec le Myanmar ces dernières années.

Depuis que l’Inde a lancé sa politique d’ouverture sur l’Est, la coopération en matière de sécurité avec le Myanmar a été le pivot de l’engagement entre les deux nations. Le succès de l’opération Golden Bird (une opération militaire conjointe Inde-Myanmar qui a permis d’éliminer des dizaines de terroristes actifs dans le nord-est de l’Inde) de 1995 et de l’opération Hot Pursuit de 2015 (une opération transfrontalière contre des insurgés appartenant au NSCN-K) prouve que la coopération en matière de sécurité a apporté un environnement stable dans les zones frontalières et une confiance dans les engagements entre les deux nations.

Ces dernières années, la coopération entre l’Inde et le Myanmar en matière de sécurité n’a cessé de s’améliorer. Des visites officielles de haut niveau ont eu lieu, suivies d’une douzaine de protocoles d’accord (MOU) pour assurer la paix, la sécurité et la stabilité.

Le facteur Chine

De même, la realpolitik de l’Inde au Myanmar découle également du facteur chinois. L’engagement de l’Inde au Myanmar peut être considéré principalement à travers le prisme de sa rivalité avec la Chine en ce qui concerne l’Asie du Sud-Est, et en particulier le Myanmar. Le facteur Chine dans les relations entre l’Inde et le Myanmar remonte à la phase asymétrique des années 1990, au cours de laquelle l’Inde était prise dans un dilemme quant à la formulation de sa politique envers le Myanmar.

C’est en raison de la position idéaliste de l’Inde envers le Myanmar après l’indépendance et de la diminution du rôle de New Delhi en tant que contrepoids régional à la Chine après le conflit de 1962 que la formulation de la politique étrangère du Myanmar s’est orientée davantage vers la Chine. Pékin, pour sa part, a considéré le Myanmar comme un élément fondamental de sa sécurité et de sa grande stratégie pour le 21e siècle.

À cet égard, la Chine a réussi à attirer le Myanmar dans son orbite d’influence et les deux pays ont entretenu les relations les plus étroites de tous les temps avec une coopération allant de la dimension militaire à la dimension économique et socioculturelle. En outre, la Chine a été la première nation avec laquelle le Myanmar a signé des contrats d’armement d’une valeur de 1,2 milliard de dollars dans les années 1990, suivis d’un autre accord de 400 millions de dollars en 1994.

Ces accords ont permis de fournir de nouvelles armes aux forces armées du Myanmar. Outre la coopération militaire, la Chine a également fourni une aide au développement au Myanmar, comme la construction d’une jetée de 85 mètres pour les installations navales sur les îles Great Coco, l’établissement d’un système moderne de reconnaissance et de renseignement électronique, la construction d’un port en eau profonde à Kyaukpyu dans l’État de Rakhine.

Ces manœuvres politiques et ce jeu stratégique ont aidé la Chine à se positionner comme un acteur dominant au Myanmar.

De même, l’aide apportée par la Chine au mouvement sécessionniste dans le nord-est de l’Inde ajoute aux préoccupations de l’Inde. Des rapports ont indiqué que diverses formations militantes du Nord-Est de l’Inde avaient reçu un soutien de crédibilité, une formation et des équipements de Pékin. Le Deccan Chronicle a rapporté en 2017 que les Chinois tentaient d’atteindre les militants des États du Nord-Est opérant depuis leur base au Myanmar.

Dans un contexte d’expansion omniprésente de l’influence chinoise au Myanmar, New Delhi ne veut pas donner plus d’espace à Pékin et estime que la meilleure option est de garder le silence sur les actions de l’armée du Myanmar.

La politique d’Act East

Troisièmement, alors que la politique indienne Act East, qui vise à promouvoir les relations économiques, stratégiques et culturelles avec la région de l’Asie du Sud-Est, prend de l’ampleur, New Delhi ne veut pas que des obstacles se dressent sur son chemin.

L’Inde a actuellement plusieurs projets de développement au Myanmar, notamment le projet de transport en transit multimodal de Kaladan, la construction de l’autoroute trilatérale, etc. qui visent à relier le Myanmar au nord-est de l’Inde en intégrant l’économie de la région grâce à l’amélioration du commerce et de la connectivité avec les pays d’Asie du Sud-Est. Une bonne relation de travail avec l’armée du Myanmar serait un facteur crucial à cet égard, car sinon, les millions de dollars d’investissements de l’Inde au Myanmar pourraient être menacés.

Ainsi, alors que les Nations unies et divers pays ont condamné la prise du pouvoir par les militaires et imposé des sanctions à la junte militaire, l’Inde a, pour sa part, adopté une approche plus mesurée face à l’évolution de la situation.

New Delhi a déclaré qu’elle soutenait fermement le processus de transition démocratique au Myanmar et estime que l’État de droit et le processus démocratique doivent être respectés. Cependant, il est intéressant de noter que New Delhi n’a pas explicitement critiqué l’armée du Myanmar ou Tatmadaw, comme on l’appelle, ni condamné ses actions répressives.

De même, l’Inde a même envoyé un représentant pour la parade annuelle organisée à Nyapidaw, signe d’une bonne relation de travail avec l’armée. En effet, la présence de l’Inde était significative car elle était la seule grande nation démocratique, avec le Bangladesh, à offrir sa validité au coup d’État militaire au Myanmar.

De même, New Delhi, sous prétexte d’aide humanitaire, a fourni près de 1,5 million de doses du vaccin Covid-19 au Myanmar. Cette assistance est considérée comme faisant partie d’un effort diplomatique plus large visant à approfondir les liens avec les militaires et à repousser la domination politique et économique de la Chine dans la région.

Préoccupations sous-jacentes

Toutefois, certaines préoccupations sous-jacentes pourraient freiner New Delhi dans sa démarche. La pression continue exercée par les voix démocratiques du monde entier pourrait inciter l’Inde à renoncer à de telles actions. Quant à l’amitié avec les militaires du Myanmar, elle pourrait avoir des répercussions plus larges sur ses objectifs de politique étrangère.

Plus important encore, la formation d’un gouvernement d’unité nationale (NUG) réunissant des activistes pro-démocratiques et des minorités ethniques pourrait poser problème pour l’approche realpolitik de New Delhi. Alors qu’un violent conflit fait rage au Myanmar à la suite du coup d’État militaire, le risque d’une nouvelle guerre civile ne peut être exclu, car diverses communautés ethniques ont apparemment pris les armes pour se protéger.

Une telle situation peut poser un problème stratégique pour l’Inde, qui a des investissements importants au Myanmar. New Delhi ayant fait preuve de mansuétude à l’égard de l’armée du Myanmar, il y a plus de chances que les groupes ethniques armés attaquent les actifs stratégiques de l’Inde. En outre, ces groupes ethniques sont également bien conscients de la disparité totale entre New Delhi et la faction Khaplang du Conseil national socialiste du Nagaland (NSCN-K). Et ces groupes ethniques pourraient constituer un avantage supplémentaire pour le NSCN-K dans sa quête d’instabilité dans les régions frontalières du nord-est de l’Inde.

Pour l’instant, aucune activité de ce type n’a eu lieu mais, dans un avenir proche, tout est possible, surtout lorsque les enjeux sont élevés et les options limitées.

Par conséquent, l’Inde doit réexaminer soigneusement son approche realpolitik au Myanmar dans une large perspective. Les besoins géostratégiques et géoéconomiques ont en effet poussé New Delhi à opter pour l’option pragmatique ; cependant, les résultats sont également très inquiétants lorsque l’on regarde la situation sous un angle plus large. New Delhi doit donc s’asseoir et affiner son action au Myanmar de manière à protéger ses intérêts stratégiques et à respecter les valeurs de sa politique étrangère en s’engageant auprès de tous les représentants de la société myanmaraise.  

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