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L’anarchie revient au Sud-Soudan

L’anarchie revient au Sud-Soudan

Les affrontements n'ont rien de nouveau ou d'extraordinaire au Sud-Soudan. La plus jeune nation du monde a déjà passé la majeure partie de son existence à mijoter au milieu d'une guerre civile chaotique.
Famine et misère au Sud-Soudan

En fait, la montée de la violence et les dissensions qui en découlent ont été l’une des pierres angulaires de sa fondation. Cependant, le monde a changé et l’objectif de la révolte aussi. Ce qui n’a pas changé, c’est la structure du pays qui n’a jamais permis à l’instabilité de s’estomper. Et si les combats d’aujourd’hui rappellent la catastrophe qui a ravagé la région il y a quelques années, la complexité est montée d’un cran ou deux. Une solution devrait donc résoudre la division qui s’envenime au lieu de se contenter de colmater le problème. Cela peut paraître simple, mais la résolution doit avoir un impact créatif et durable si le pays a l’intention de maîtriser le conflit avant qu’il ne prenne de l’ampleur.

L’histoire du pays naissant, principalement les événements qui ont conduit à son indépendance, met en perspective toute une série d’aspects. Jusqu’à il y a dix ans, le Soudan était un pays unique. Des années et des années, voire des décennies, de régime répressif ont enhardi les factions autonomes du Soudan, en particulier les États du sud. La guerre civile qui a duré plusieurs décennies entre les États belligérants du Soudan a été l’une des périodes les plus débilitantes qu’ait connues le continent africain après la période de colonisation. Alors que l’objectif était de lutter contre la classe dirigeante oppressive afin de parvenir à une répartition équitable du pouvoir, la lutte n’a porté ses fruits qu’en 2005, lorsque le régime soudanais a accordé à contrecœur l’autonomie à la partie méridionale du Soudan, composée de dix États différents. La guerre civile a culminé avec un accord qui a élevé Salva Kiir Mayardit – leader du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM) – au rang de président de cette région autonome.

La séparation entre le Soudan et le Sud-Soudan semblait inévitable

M. Kiir a ensuite remporté une nouvelle élection en 2010, malgré un conflit idéologique dans les rangs du mouvement indépendantiste. Toutefois, la consolidation du pouvoir n’était guère menacée, car elle faisait miroiter l’espoir d’un État séparé. Les luttes intestines auraient mis en danger l’objectif commun. Cependant, la lutte a rendu sa cause six ans seulement après l’accord, lorsque le Sud-Soudan s’est séparé du Soudan en tant qu’État indépendant en 2011.

Aujourd’hui, alors que la nation se remet de la jubilation de l’indépendance, il est particulièrement pénible de constater une dure réalité. Il n’existait aucun objectif commun permettant aux groupes en conflit de se tolérer mutuellement. Ainsi, le chemin à parcourir s’est avéré être un chemin cahoteux et pas exactement une voile lisse comme on l’avait envisagé. En réalité, la diversité même du Sud-Soudan, qui avait autrefois pesé sur la cause d’un État libéral, l’a rendu vulnérable aux divergences d’opinion et, par extension, plus enclin aux conflits. L’accumulation progressive de frustrations et d’irritation a atteint son apogée deux ans seulement après l’indépendance. Une dissension entre deux des groupes ethniques majoritaires du Sud-Soudan a semé les prémisses d’une nouvelle guerre civile – cette fois entre les rangs du Sud-Soudan lui-même.

Jeux de pouvoir et guerre politique au Sud-Soudan

Le président Kiir, issu de l’ethnie Dinka, a accusé le vice-président Riek Machar, appartenant à l’ethnie rivale Nuer, d’avoir fomenté un coup d’État manqué contre son gouvernement. M. Kiir a limogé l’ensemble de son cabinet ainsi que M. Machar, ce qui a entraîné l’éruption de la violence entre les deux groupes qui, quelques années plus tard, avaient fait campagne ensemble pour l’indépendance.

La violence qui s’est propagée a rapidement englouti une grande partie des États de l’Unité et même le Haut-Nil, car la garde présidentielle et les forces armées, toutes deux fidèles à l’ethnie dinka, ont rejoint la révolte contre les groupes rebelles. M. Machar a été contraint à l’exil tandis que les civils étaient tués, pillés, violés et saccagés selon des critères ethniques. La violence sexuelle a atteint son paroxysme alors que des communautés entières étaient réduites en cendres, provoquant un énorme flux de réfugiés vers les pays voisins, l’Éthiopie et l’Ouganda. Après de multiples efforts internationaux et de nombreuses tentatives des Nations unies, la guerre a finalement pris fin en 2018. Un cessez-le-feu a rapidement suivi, ainsi qu’un accord de partage du pouvoir qui a finalement ramené M. Machar au Soudan du Sud, réintégré en tant que vice-président dans le cadre d’un accord de paix fragile.

Le bilan humain et social de l’après-indépendance du Sud-Soudan est terrible.

La guerre a duré cinq ans : elle occupe 50 % de l’ensemble du récit de l’existence du Sud-Soudan dans les pages de l’histoire. Plus de 400 000 personnes ont été massacrées alors que les coupables ont été épargnés. Un accord de paix a été signé, mais les coupables de la guerre civile n’ont pas été punis. Plus de 2 millions de personnes ont été déplacées mais aucune réforme constitutionnelle n’a vu le jour pour résoudre le conflit qui pourrait resurgir à l’avenir. Au lieu de cela, les mêmes dirigeants ont repris là où ils s’étaient arrêtés tandis que la population supportait le fardeau du chaos. Une décennie plus tard, le Sud-Soudan n’est pas meilleur que son pays d’origine. En fait, la corruption endémique, l’effondrement de l’économie et l’effritement des institutions ont placé le pays dans la pire situation que l’on aurait pu imaginer.

Alors que 8 millions de personnes sur 11 millions ont désespérément besoin d’aide humanitaire, l’anarchie fait son retour. Les forces rivales dans les échelons du vice-président Machar se sont révoltées contre son leadership : elles ont nommé le lieutenant général Simon Gatwech Dual pour le remplacer par intérim. De nouveaux appels ont été lancés pour déloger le Président lui-même. Ces développements alimentent déjà le ressentiment refoulé, puisque près de deux douzaines de combattants ont déjà été tués dans de multiples escarmouches au cours du week-end dernier. Et si les appels au remplacement et à la révolte ne sont ni peu orthodoxes ni surprenants pour l’un ou l’autre des deux hommes, l’inquiétude porte sur la résurgence progressive d’un clivage ethnique qui n’a malheureusement pas été abordé après la guerre civile. L’Autorité intergouvernementale pour le développement (IAD), un important bloc régional, a fait part de ses craintes quant au fait que la moindre étincelle pourrait facilement déstabiliser à nouveau l’ensemble du Sud-Soudan. Et même s’il s’agit d’une fausse alerte, une crise humanitaire de plus en plus grave et une disparité économique croissante ne laissent pas présager un avenir prospère pour ce pays qui s’est ironiquement séparé du Soudan pour la paix et un niveau de vie équitable.

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