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L’identité libanaise, une difficile identité plurielle

L’identité libanaise, une difficile identité plurielle

Parler de l’identité libanaise n’est pas toujours une tâche facile. Car si le concept d’identité est en soi difficile à cerner, l’identité conjuguée à la libanité ou l’identité libanaise ne le rend que plus problématique.

Dans ce qui suit, nous examinons dans une première partie la question de l’identité nationale libanaise à la lumière de l’histoire récente du Liban, en mettant en exergue quelques éléments contribuant au particularisme libanais, et en montrant comment différentes visions identitaires ont pu infléchir les événements historiques qu’a connus – et que connaît toujours – le Liban et comment ces derniers ont façonné à leur tour les conceptions de l’identité.

Le concept d’identité est polysémique. On parle à la fois de l’identité individuelle dans ses différentes composantes sexuelle, familiale, sociale ; et de l’identité collective qui se situe au niveau d’un groupe d’individus, de la nation ou d’un ensemble supranational. Mais dans les deux cas, loin d’une vision essentialiste, l’identité implique un processus en devenir qui se construit, se déconstruit et se reconstruit au gré des conjonctures politiques, économiques et sociales.

Le concept d’identité est apparu dans les années soixante aux Etats-Unis.

Historiquement, le concept d’identité a fait son apparition aux États-Unis dans les années soixante avec des sociologues tels Erving Goffmann qui s’en sont servi afin de caractériser des groupes minoritaires comme les groupes de femmes ou de Noirs pour qui la revendication identitaire permettrait de transformer l’élément discriminateur en signe de fierté.

Toutefois, la généalogie du concept remonte à l’essor des mouvements nationalistes qui ont marqué le XIXe siècle en Europe. Il était ainsi classique d’opposer une vision française de la nation basée sur l’idée du contrat social à l’idée allemande fondée sur le Volksgeist, le droit du sol au droit du sang, la nation révolutionnaire à la nation romantique. Mais il est à noter que ces visions hétérogènes existent au sein d’une même entité. En France, par exemple, face au nationalisme fermé défendu par Barrès et Mauras qui font primer le droit du sang et l’hérédité, prévaut un autre, ouvert, représenté surtout par Ernest Renan pour qui la nation ne se définit « ni par la race, ni par la langue, ni par la religion, ni par la géographie, ni même par une communauté d’intérêts . Pour lui, la nation serait une grande solidarité qui, si elle suppose un passé, ne se conçoit sans le désir de continuer la vie commune. Chez Renan, l’idée de valeurs et de projets communs sont ainsi indissociables de l’idée de la nation.

Dans un second temps et après avoir passé en revue le cadre historique qui a forgé l’identité libanaise, nous analysons dans une perspective psychanalytique quelques faits marquant de la réalité sociale et politique d’aujourd’hui dans le but d’intégrer la vision de l’identité dans une interprétation qui rend davantage compte de l’articulation de l’individualité et de la pluralité, et de la conflictualité qui naît de la rencontre des deux.

Il va sans dire que cet article ne prétend pas fournir une explication exhaustive de faits historiques et sociaux qui certainement trouvent leurs causes dans des facteurs multiples et variés. Nous proposons tout au moins, avec des outils psychanalytiques, une grille de lecture pouvant éclairer sous un angle différent des phénomènes qui demeurent par nature bien complexes.

Selon le Petit Robert, le mot identité dérive du latin idem qui signifie le même et renvoie inéluctablement à l’unité et à la similitude. Il caractérise ce qui est propre à l’individu ou au groupe, ce qui les singularise. Ainsi, si l’identité se définit au premier abord comme une négation de la différence, cette dernière ne saurait se soustraire cependant à sa définition. Être soi c’est forcément être différent de l’autre. L’identité est donc ce qui identifie aussi bien que ce qui différencie. Comme le note S. Abou, l’identité est « une dialectique vivante du même et de l’autre, où le même est d’autant plus lui-même qu’il est ouvert à l’autre »

L’identité libanaise, c’est quoi ?

Comment le concept d’identité se décline-t-il dans le contexte du Liban ? Il faut rappeler que le Liban est un pays pluriconfessionnel régi par un système politique éminemment confessionnel. La problématique est inévitablement celle de la rencontre de la pluralité des groupes et de l’unité que sous-tend l’identité nationale dans un système politique qui cautionne fondamentalement les différences. Cette conflictualité est porteuse de tensions qui non seulement ont élu le domaine des idées comme lieu d’expression possible mais ont investi de la manière la plus concrète et parfois la moins civilisée la vie publique et privée des Libanais.

Ainsi, aux différents groupes libanais correspondent différents mythes identitaires ; chaque version du mythe soucieuse d’asseoir la légitimité historique de la faction qui la revendique, n’a pas hésité à amalgamer fiction et réalité (ce qui est la fonction de tout mythe), et à construire les faits davantage sur la base de la fiction que de la réalité (ce qui est plus proche de l’idéologie). Il en résulte non seulement une interprétation différente de l’histoire mais une confrontation violente, la violence étant le lot inéluctable de toute idéologie qui cherche dans la réalité un champ d’application.

Camp au Liban près de Beyrouth

Deux versions opposées de l’identité

L’une des principales causes de conflits entre les composantes libanaises, peut-être la cause principale, est la difficulté de se réunir sur une définition commune de l’identité.

Sans remonter très loin dans l’histoire du Liban, depuis la création du Liban contemporain en 1920, deux représentations opposées de l’identité se sont confrontées dans la conscience de ses habitants. Cette confrontation a certes connu son point culminant durant la guerre civile qui a ravagé le pays entre 1975 et 1990, mais constitue encore aujourd’hui un grille valable pour comprendre les événements plus récents qui ont éclaté depuis 2005 avec la série d’assassinats politiques et les crises institutionnelles récurrentes que connaît le pays.

Ainsi, la première de ces versions qualifiée souvent de libaniste a été l’apanage des élites chrétiennes, notamment maronites, qui concevaient le Liban comme un pays à part dans la région, différent de son environnement arabe et ne partageant pas le destin de ce dernier. L’idée in fine est celle d’un pays pour les chrétiens. À cette version, s’opposait une autre plus arabisante défendue par les musulmans qui ne pouvaient accepter la thèse d’un Liban foyer de la chrétienté ni asile des minorités. Pour eux, le Liban s’inscrit en continuité avec son horizon arabe avec lequel il partage les liens de sang, de langue et de religion.

Le pacte national qui a conclu l’indépendance du pays en 1943, a tenté de concilier l’antagonisme inhérent à cette double identité par une double négation : d’un côté les chrétiens renonçaient à tout protectorat occidental et acceptaient le « visage arabe » du Liban, de l’autre les musulmans renonçaient au projet d’unité syrienne et adhéraient pleinement à l’entité libanaise. Mais deux négations, selon la formule devenue célèbre de Georges Naccache, ne forment pas une nation. En effet, ce « compromis historique » ne pouvait venir à terme des divergences qui allaient prendre une tournure dramatique vers la fin des années soixante et soixante-dix avec l’embrasement de la guerre.

Pour une meilleure compréhension du contexte historique qui a servi de cadre à la guerre, deux éléments internes méritent d’être retenus, qui ont œuvré en latence de manière à rendre cette dernière inéluctable lorsque le contexte régional a prêté l’élément déclenchant.

Tout d’abord, le pacte de 1943 loin d’abolir le principe communautaire, l’a consacré en inscrivant dans la constitution le principe de distribution confessionnelle des fonctions publiques. Comme le note judicieusement Nawaf Salam , l’État libanais ne cherchait pas à transcender les clivages confessionnels mais plutôt à organiser leur expression. Cela trouve son explication dans la conception même du pacte qui a accordé au fait communautaire une importance structurale. Ainsi, selon Michel Chiha, l’un des artisans du pacte, le Liban est le fruit d’un compromis confessionnel. « Qu’on ne lui demande pas d’aller contre la nature des choses. Il vaudra toujours mieux qu’il vive avec une boiterie que de se briser les reins. » 

Essayer d’aller au-delà des confessions pour une libanité plus aboutie

D’autre part, si la libanité du pays était généralement admise après le pacte par les parties musulmanes et chrétiennes, son interprétation donnait lieu à de nettes divergences et chacune des parties n’a cessé de faire prévaloir ses influences extérieures pour faire avancer ses conditions de négociations. L’État libanais demeurait par conséquent une entité hypothétique qui n’a pas tardé à voler en éclats lorsque le conflit israélo-arabe et la question palestinienne se sont transférés sur le territoire libanais.

Les recents mouvements politiques au Liban avec l’eviction de Saad Hariri et la nomination de Najib Mikati, bientôt premier ministre libanais ne sont pas sans rappeler les difficultés que traversent le Liban depuis presque 100 ans pour vivre au travers de ses multiples identités dans sa libanité

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