Un spectre hante l’Europe. C’est le spectre de la guerre. La plupart des médias, des politiciens et des experts occidentaux s’attendent à ce que la Russie lance une nouvelle agression militaire contre l’Ukraine si les négociations avec l’Occident finissent par échouer. Le président américain Joe Biden a déclaré publiquement que la Russie allait « intervenir ». En effet, une escalade militaire de la situation est probable, étant donné que le président russe Vladimir Poutine a menacé d’une « réponse militaro-technique » si les exigences fondamentales de la Russie en matière de garanties de sécurité écrites et juridiquement contraignantes de la part de l’Occident ne sont pas satisfaites. Les États-Unis et l’OTAN ont déjà déclaré à de nombreuses reprises qu’ils n’étaient pas disposés à céder aux exigences fondamentales de la Russie.
Un déploiement d’armes nucléaires
Cette « réponse » russe, cependant, ne sera pas nécessairement une invasion terrestre (plus ou moins importante) de l’Ukraine. Elle pourrait, peut-être, « seulement » consister en un déploiement d’armes nucléaires russes à ses frontières occidentales, à Kaliningrad et peut-être même au Belarus : des armes telles que le missile balistique intercontinental à deux étages RS-26, le missile de croisière à moyenne portée 9M729, ou encore le missile hypersonique Tsirkon (Zircon). Il pourrait également s’agir d’une cyberattaque massive contre les infrastructures critiques de l’Ukraine, son système bancaire et ses grandes entreprises. Ni le déploiement d’armes ni une cyberattaque ne déclencheraient nécessairement les sanctions financières et économiques massives contre la Russie dont il est actuellement question en Occident. En revanche, une incursion militaire en Ukraine le ferait certainement.
Une invasion serait sans aucun doute une gaffe stratégique majeure de la part de Poutine. Bien que la Russie soit aujourd’hui mieux préparée à gérer les sanctions économiques et financières qu’en 2014, elle en souffrirait certainement beaucoup. Ces sanctions aggraveraient la situation sociale en Russie, où les revenus disponibles des ménages sont en baisse depuis plusieurs années, et où l’inflation est en hausse. S’il pourrait y avoir un premier ralliement autour de l’effet drapeau, le risque demeure que de plus en plus de Russes imputent l’aventurisme de Poutine aux sanctions occidentales. Outre le train de sanctions, l’Occident répondrait à une incursion militaire par le déploiement de forces supplémentaires de l’OTAN en Europe orientale. Il pourrait s’agir de forces de combat « substantielles » et « permanentes », ce qui tuerait une fois pour toutes l’Acte fondateur Russie-OTAN de 1997.
Poutine pris dans un piège
Pourtant, la situation difficile dans laquelle se trouve Poutine est entièrement due à lui-même. Sa menace d’une réponse militaro-technique est sur la table. Dans le même temps, les exigences fondamentales de la Russie, que Poutine considère comme des questions de nature existentielle, ne seront pas satisfaites. Dans ce cas, Poutine peut soit perdre la face et sa crédibilité, soit répondre par la force. Un rétropédalage saperait son autorité auprès de l’appareil militaire et de sécurité en Russie. Plus important encore, toute menace future de Poutine ne serait plus prise au sérieux par l’Occident. Pire encore pour Poutine, l’inaction russe permettrait à l’Occident de renforcer son discours selon lequel la stratégie de dissuasion a finalement empêché une invasion russe en Ukraine.
Poutine aurait pu se sortir de ce piège si la partie russe avait évalué positivement les concessions occidentales limitées qui sont sur la table : maîtrise des armements des systèmes d’armes à moyenne portée, ainsi que des mesures de confiance, de transparence et de vérification dans les zones frontalières entre l’OTAN et la Russie, et des mesures de communication de crise. Poutine aurait pu accepter ces concessions comme une victoire solide pour la Russie, ce qui lui aurait permis de sauver la face sur le plan diplomatique. Mais il a décidé de ne pas le faire. Le ministre des affaires étrangères, Sergey Lavrov, a explicitement qualifié ces offres de « questions secondaires ». Il a également déclaré que les projets de traités russes ne constituent pas un menu dans lequel l’Occident peut piocher, mais qu’ils doivent être négociés comme un tout.
Gagner du temps pour éviter l’escalade
Il vaut bien sûr la peine de chercher une solution diplomatique à la crise actuelle. L’OTAN défend par principe sa politique de « porte ouverte » à l’égard des nouveaux membres potentiels. Toutefois, à l’exception de la Pologne et des États baltes, aucun autre membre n’envisage sérieusement d’inviter l’Ukraine à adhérer à l’OTAN dans un avenir prévisible. Étant donné cette position informelle de la plupart des membres de l’OTAN et l’obsession de la Russie à l’égard de toute nouvelle expansion de l’alliance, pourquoi ne pas déclarer un moratoire sur l’élargissement de l’OTAN pour les dix prochaines années ? Cela contribuerait grandement à la désescalade de la crise. Une offre de moratoire, associée aux autres concessions que l’Occident a déjà mises sur la table, constituerait une solution praticable. Elle ne désavantagerait même pas l’Ukraine, puisque son adhésion à l’OTAN n’est de toute façon pas à l’ordre du jour.
Finlandisation de l’Ukraine ?
En revanche, la « finlandisation » de l’Ukraine, que le président français Emmanuel Macron a mentionnée en passant lors de son passage à Moscou lundi, serait difficile à vendre. Cela signifierait le non-alignement militaire, une politique étrangère amicale envers la Russie et la liberté dans les affaires intérieures. Personne dans l’establishment ukrainien actuel n’accepterait un tel statut. La neutralité devrait être imposée à l’Ukraine. La question reste de savoir si l’Occident est prêt à le faire. Est-ce un prix acceptable à payer pour désamorcer la crise ?
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Reportage d’Adrien MAXILARIS
Édition : Evelyne BONICEL
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