Cela suffit-il pour que deux pays, dont aucun des plans climatiques n’est particulièrement ambitieux, deviennent des alliés dans les négociations internationales sur le climat ?
L’Occident est généralement considéré comme la partie du monde la plus préoccupée par la lutte contre le changement climatique. En réalité, il n’y a pas d’unité entre les nations occidentales. Le gouvernement australien, par exemple, déclare ouvertement qu’il n’est pas prêt à prendre des mesures drastiques pour réduire l’empreinte carbone de son économie. La principale raison en est que les matières premières, en particulier le charbon, constituent une part importante des exportations australiennes, ce qui laisse peu de marge de manœuvre au pays.
À cet égard, l’Australie ressemble beaucoup à la Russie, où les responsables espèrent également une transition énergétique en douceur qui conserve autant que possible l’utilisation des combustibles fossiles. La similitude de leurs approches pourrait faire de l’Australie un partenaire important de la Russie dans les négociations internationales : après tout, le changement climatique a l’habitude de créer d’étranges alliances. Mais il ne sera pas facile de s’entendre. La Russie est confrontée à de graves problèmes liés au climat, et les solutions à y apporter seront plus exigeantes que n’importe laquelle des solutions que l’Australie doit adopter.
Le changement climatique n’est pas un sujet nouveau dans la politique australienne, et les enquêtes montrent que le nombre de personnes concernées par ce problème ne cesse d’augmenter. Pourtant, pour le moment du moins, cette préoccupation ne s’est pas traduite par une demande massive pour que l’économie australienne réduise rapidement sa dépendance aux combustibles fossiles.
La politique en matière de changement climatique était l’un des principaux sujets des élections de 2019. Pourtant, l’actuel gouvernement de coalition libéral-national de centre-droit s’est présenté sur une plateforme visant à maintenir les obligations minimales de l’Australie en matière de réduction des émissions de carbone (26-28 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990). Le parti travailliste de l’opposition et le parti vert, quant à eux, ont fait pression pour des objectifs de réduction des émissions plus ambitieux.
La position du gouvernement et de l’opinion publique australiens est compréhensible : toute tentative de réduction des émissions pourrait finir par porter atteinte aux sources traditionnelles de richesse du pays. L’Australie est un exportateur de produits de base qui dépend de la vente de matières premières : c’est le plus grand exportateur de charbon au monde, par exemple.
Le Premier ministre Scott Morrison a déclaré qu’il pensait que l’industrie charbonnière australienne serait encore présente pendant des décennies et qu’il n’avait pas l’intention de faire payer la décarbonisation. Il y a de bonnes raisons de croire qu’il a raison : la demande de charbon australien ne semble pas devoir baisser dans un avenir proche. Même s’il y a une baisse de la demande de charbon pour la production d’électricité, elle sera compensée par la hausse de la demande de la métallurgie.
Une autre exportation importante de l’Australie est celle des produits agricoles, en particulier le bétail : c’est aussi une industrie responsable d’importantes émissions de gaz à effet de serre, notamment de méthane. C’est pour cette raison que, lors de la récente conférence des Nations unies sur le changement climatique COP26 à Glasgow, l’Australie a refusé de s’engager à réduire les émissions de méthane de 30 % d’ici 2030, alors que cette déclaration était soutenue par les États-Unis et l’Union européenne. Le méthane a des propriétés d’effet de serre beaucoup plus puissantes que le dioxyde de carbone, mais il se dissipe beaucoup plus rapidement, ce qui signifie que la réduction des émissions est un moyen rapide de freiner la hausse des températures. Le refus de l’Australie de signer la déclaration sur le méthane n’en fait pas pour autant un paria. Les grands producteurs de gaz naturel comme le Qatar et la Russie n’ont pas signé non plus.
Une récente déclaration de M. Morrison, selon laquelle l’Australie cherchera à réduire ses émissions de gaz à effet de serre grâce au progrès technologique et à l’efficacité énergétique, fait fortement écho à la position de la Russie. Le président Vladimir Poutine a lui aussi parlé à plusieurs reprises de l’importance de l’efficacité énergétique.
En effet, l’Australie espère l’émergence de nouvelles technologies, telles que la technologie de capture du carbone et la production d’hydrogène, qui permettraient à son industrie minière de trouver un nouveau créneau. Une récente coentreprise australienne avec le Japon porte sur la fabrication d’hydrogène à partir de lignite et sur la capture et le stockage du dioxyde de carbone.
Là encore, il existe des similitudes avec la Russie, où le gouvernement tente de promouvoir l’utilisation des technologies existantes pour réduire les émissions et s’orienter vers la production d’hydrogène. Mais ces similitudes seront-elles suffisantes pour que les deux pays deviennent des alliés dans les négociations internationales sur le changement climatique ? La réponse est probablement “non”.
Pour commencer, il existe des différences importantes. Malgré sa réputation de station-service, la Russie dispose d’une plus grande richesse de compétences et de connaissances technologiques que l’Australie. Par exemple, le gouvernement russe tient à utiliser l’énergie nucléaire pour réduire les émissions, ce qui lui permet d’obtenir des commandes pour son industrie nucléaire et de soutenir le développement de la technologie nucléaire. Bien que l’Australie soit exportatrice d’uranium, elle ne mise pas sur l’énergie nucléaire de la même manière, et est sceptique à l’idée de construire de nouvelles centrales nucléaires sur son sol.
Si la Russie et l’Australie visent toutes deux la production d’hydrogène, les espoirs de la Russie en matière de technologie de production d’hydrogène ne visent pas seulement à fournir les matières premières nécessaires, comme le fait l’Australie. Au contraire, l’agence atomique nationale russe, Rosatom, prévoit de produire de l’hydrogène sans émission de carbone en utilisant l’énergie nucléaire ou l’énergie verte, ce qui montre que la Russie compte utiliser son savoir-faire technologique pour entrer sur le marché de l’hydrogène.
La Russie se distingue également par le rôle important que jouent les produits métalliques et chimiques, les engrais et le ciment dans ses exportations. Il s’agit de produits industriels dont l’empreinte carbone est importante et qui seront soumis au mécanisme d’ajustement aux frontières de l’UE. Non seulement les matières premières de l’Australie ne seront pas affectées par ce changement de politique, mais pour l’Australie, le marché européen est bien moins important que le marché asiatique.
Enfin, les ambitions géopolitiques de la Russie sont radicalement différentes de celles de l’Australie, et elle devra probablement faire face à des conséquences bien plus importantes si elle ne prend aucune mesure concernant le changement climatique. Pour l’instant, le réchauffement de la planète n’est pas un enjeu dans l’impasse entre les grandes puissances, ce qui laisse un choix à la Russie. Elle peut chercher des points de contact et des possibilités de travail conjoint avec les États-Unis et d’autres pays occidentaux influents, ou tenter de forger une alliance avec ceux qui peuvent se permettre d’ignorer l’agenda climatique. En fin de compte, la première option risque d’être plus attrayante, surtout si l’on considère que des convictions partagées sur les combustibles fossiles – comme avec l’Australie – ne se traduisent pas par une volonté de solidarité avec la Russie sur d’autres questions, notamment la sécurité mondiale.
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Reportage de Charles PHIN
Édition : Evelyne BONICEL
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